3 questions d'Elizabeth Couturier à Marc Goldstain
Elizabeth Couturier dirige la galerie Couturier à Lyon depuis 2005. Elle a acceuilli Les Soirées Dessinées fin 2017.
Elle a exposé plusieurs artistes des Soirées Dessinées, notamment Marc Goldstain, à qui elle pose trois questions.
Elle a exposé plusieurs artistes des Soirées Dessinées, notamment Marc Goldstain, à qui elle pose trois questions.
Elizabeth Couturier : 1 Tu peins une ville accueillante bien que réaliste, souvent dans des tons de gris qui ne sont jamais désolés, on sent toujours comme un espoir ou en tous cas une vraie possibilité de vivre bien en ville … Quel sentiment t’anime quand tu peins la ville ?
Cette question me fait penser à une idée importante dans ma démarche : une des responsabilités de l’artiste est dans le contenu de ce qu’il donne à voir.
Je suis citadin, et j’ai besoin de sentir la ville comme lieu vivable, sans exclusion, y compris donc dans ce qu’elle a de plus banale ou morose. Ainsi, je me suis toujours intéressé aux lieux les moins regardés, et de cet intérêt naquit un des sens de ma pratique artistique. En effet, tout jeune, lorsque j’ai commencé à peindre mon environnement urbain dans la rue « sur le motif » certains spectateurs de passage interrogeaient – avec un peu d’inquiétude - mes choix de sujet et leurs « médiocrités esthétiques » réelles ou supposées. Ils auraient préféré me voir peindre une belle maison bourgeoise, un jardin à une tour HLM ou un terrain vague (ce que je faisais pourtant). Mon choix était naturel et instinctif, de plus, j’ai toujours pensé que la tension esthétique que porte une image née du regard de l'artiste permettait de transmettre une iconographie plus poétique de ces lieux communs.
À mon sens, votre question interroge aussi une question de savoir faire technique: j'utilise une palette colorée composées pour une grande partie de gris appelés « gris colorées». Ce terme paraît bien contradictoire et ça me plait. En effet il y a un paradoxe à fabriquer du gris avec des couleurs. Et je pense que cela permet de donner beaucoup de nuances et de couleurs à la peinture d’une façon finalement assez subtile.
2 J’ai eu la chance d’assister à une de tes conférences et j’en ai été impressionnée. Je conçois que ta conscience de peintre t’ait conduit à une méditation sur la gestuelle, mais est-ce cette méditation a eu, ensuite, une incidence profonde sur ta façon de peindre ?
C’est ce que j’ai tendance à penser. Pour étayer cette idée j’ai fait une recherche de Master 2 en science de l’éducation, spécialisée en « psychopédagogie perceptive » une matière issue du Prof. Danis Bois (http://www.cerap.org/travaux-académiques-de-le-champ-du-mouvement-de-lart-et-de-lexpressivité). Je compte d’ailleurs m’en servir comme base afin d’éditer un livre prochainement.
Pour cette recherche je me suis basé sur des notes prises régulièrement pendant des années, « un journal de bord » ou j’ai retranscrit des sensations vécues en lien direct avec mes pratiques du « Sensible* ».
*un paradigme dans lequel la personne est un sujet est présente à elle même, à son corps en lien avec une force, un mouvement interne autonome.
Par exemple j’ai une pratique quotidienne de la méditation dites « introspection sensorielle » et dans cette forme d’intériorisation qui se réalise les yeux fermés, dans le silence et l’immobilité, il peut y avoir une luminosité colorée, subjective qui se donne à voir. Cette subjectivité colorée imprègne ma peinture. Plus précisément, je fais le choix qu’elle le fasse. Par exemple pour commencer une toile en peignant un « fond » de la couleur que j’ai ressentie ou vue les yeux fermés. Ce fond devient une forme de rappel de ma subjectivité intérieure, alors que le sujet que je peins est « objectif » réaliste, quotidien. Ainsi il ya un jeu interactif entre subjectivité et objectivité qui évolue et vient nourrir ma pratique. Un autre exemple relie le geste de peindre à ma pratique de la « gymnastique sensorielle ». Il s’agit d’une gestuelle intériorisée, ressemblant extérieurement un peu au Tai-chi-chuan Chinois. Il s’agit de réaliser lentement, assis ou debout, des mouvements « de bases » (antéropostérieurs, verticaux, transversaux), ou une chorégraphie codifiée concernant la globalité corporelle dans laquelle pourtant s’exprime chaque identité articulaire, vers une liberté expressive, et permettant un accordage somato-psychique.
Cette gestuelle qui délie les articulations va permettre d’explorer des orientations et des amplitudes inédites pour la personne, ce qui va la libérer de ses « habitus » moteurs. Dans mon expérience, j’ai noté une capacité plus grande à mouvoir mon pinceau d’une façon plus stable, plus ancrées dans ma globalité corporelle, malgré les émotions, et avec une richesse d’orientation et d’amplitudes plus grande.
Le résultât se voit aussi en terme de créativité, ces pratiques me relient à un source de désir d’expression qui se renouvelle naturellement lorsque je suis à son écoute. Mes toiles deviennent « un lieu » ou je peux montrer et vivre tout ce monde de nuances esthétiques.
3 Tu rentres de Chine et ce n’est pas la première fois que tu pars en résidence de création… Peux-tu nous dire quelque chose, sur la Chine, qui sorte des clichés et qui nous étonne vraiment ?
Non, rien… Aha, je ris.
C’est la première fois que je vais en résidence de création en Chine, j’ai eu d’autres expériences de Résidences artistiques dans les Alliances françaises au Brésil. Curieusement, dans ces résidences artistiques, aussi loin que j’aille j’ai besoin d’un lapse de temps pour voir ce qui s’y passe de vraiment différent. En effet avec la mondialisation des media, il y a une sorte de vrai-fausse accoutumance aux pays lointains,même si on ne les connait pas physiquement, car on en reçoit des images nombreuses.
Pour la Chine il faut du temps de toute façon, car « Elle » ne se donne pas comme cela. Je ne sais pas si c’est « hors cliché » mais lors de mes pérégrinations dans les Alliances Françaises de quatre grandes villes Chinoises que sont Shanghai, Wuhan, Tianjin et Pekin, j’ai notamment retenu deux aspects de ce pays :
Le premier se traduit par une forme de paradoxe dans les relations humaines, qui se sent dans la rue lorsque l’on circule : l’incessant bruit des klaxons des véhicules de toutes sortes (ce qui exaspérait ma compagne) indiquant sans trop d’arrogance « je suis là », « j’existe », et surement d’une façon plus pragmatique « laissez moi passer ». J’aime beaucoup ce jeu entre le « je » de l’individu qui existe réellement dans la soit disant « masse » des Chinois. Au passage, je n’ai pas trop ressenti cette « masse », malgré ma présence au moment de la fête nationale à Pékin. Il y a Beaucoup d’individus qui jouent des coudes certes, mais ça fonctionne sans trop de heurts, semble-t-il !
La deuxième chose qui m’a marquée rétrospectivement est une forme de discrétion, de retenue ou de méfiance (à cause d’un passé de pays colonisé ?), dans la façon qu’a la Chine de communiquer autour de sa peinture traditionnelle -et sans doutes de ses autres arts anciens- en Occident. J’ai découvert un nombre incroyable de peintres historiques dans une des rares librairies de Shanghai, dont on n’entend pas parler en occident à moins de s’intéresser vraiment au sujet. À présent Je sais que ces artistes vont m’ influencer ou me confirmer dans ma recherche, par leurs manières si différentes d’appréhender la représentation du monde, à la fois physique, par la mémoire, par un savoir faire pictural , et une attitude contemplative qui me sied.
Cette question me fait penser à une idée importante dans ma démarche : une des responsabilités de l’artiste est dans le contenu de ce qu’il donne à voir.
Je suis citadin, et j’ai besoin de sentir la ville comme lieu vivable, sans exclusion, y compris donc dans ce qu’elle a de plus banale ou morose. Ainsi, je me suis toujours intéressé aux lieux les moins regardés, et de cet intérêt naquit un des sens de ma pratique artistique. En effet, tout jeune, lorsque j’ai commencé à peindre mon environnement urbain dans la rue « sur le motif » certains spectateurs de passage interrogeaient – avec un peu d’inquiétude - mes choix de sujet et leurs « médiocrités esthétiques » réelles ou supposées. Ils auraient préféré me voir peindre une belle maison bourgeoise, un jardin à une tour HLM ou un terrain vague (ce que je faisais pourtant). Mon choix était naturel et instinctif, de plus, j’ai toujours pensé que la tension esthétique que porte une image née du regard de l'artiste permettait de transmettre une iconographie plus poétique de ces lieux communs.
À mon sens, votre question interroge aussi une question de savoir faire technique: j'utilise une palette colorée composées pour une grande partie de gris appelés « gris colorées». Ce terme paraît bien contradictoire et ça me plait. En effet il y a un paradoxe à fabriquer du gris avec des couleurs. Et je pense que cela permet de donner beaucoup de nuances et de couleurs à la peinture d’une façon finalement assez subtile.
2 J’ai eu la chance d’assister à une de tes conférences et j’en ai été impressionnée. Je conçois que ta conscience de peintre t’ait conduit à une méditation sur la gestuelle, mais est-ce cette méditation a eu, ensuite, une incidence profonde sur ta façon de peindre ?
C’est ce que j’ai tendance à penser. Pour étayer cette idée j’ai fait une recherche de Master 2 en science de l’éducation, spécialisée en « psychopédagogie perceptive » une matière issue du Prof. Danis Bois (http://www.cerap.org/travaux-académiques-de-le-champ-du-mouvement-de-lart-et-de-lexpressivité). Je compte d’ailleurs m’en servir comme base afin d’éditer un livre prochainement.
Pour cette recherche je me suis basé sur des notes prises régulièrement pendant des années, « un journal de bord » ou j’ai retranscrit des sensations vécues en lien direct avec mes pratiques du « Sensible* ».
*un paradigme dans lequel la personne est un sujet est présente à elle même, à son corps en lien avec une force, un mouvement interne autonome.
Par exemple j’ai une pratique quotidienne de la méditation dites « introspection sensorielle » et dans cette forme d’intériorisation qui se réalise les yeux fermés, dans le silence et l’immobilité, il peut y avoir une luminosité colorée, subjective qui se donne à voir. Cette subjectivité colorée imprègne ma peinture. Plus précisément, je fais le choix qu’elle le fasse. Par exemple pour commencer une toile en peignant un « fond » de la couleur que j’ai ressentie ou vue les yeux fermés. Ce fond devient une forme de rappel de ma subjectivité intérieure, alors que le sujet que je peins est « objectif » réaliste, quotidien. Ainsi il ya un jeu interactif entre subjectivité et objectivité qui évolue et vient nourrir ma pratique. Un autre exemple relie le geste de peindre à ma pratique de la « gymnastique sensorielle ». Il s’agit d’une gestuelle intériorisée, ressemblant extérieurement un peu au Tai-chi-chuan Chinois. Il s’agit de réaliser lentement, assis ou debout, des mouvements « de bases » (antéropostérieurs, verticaux, transversaux), ou une chorégraphie codifiée concernant la globalité corporelle dans laquelle pourtant s’exprime chaque identité articulaire, vers une liberté expressive, et permettant un accordage somato-psychique.
Cette gestuelle qui délie les articulations va permettre d’explorer des orientations et des amplitudes inédites pour la personne, ce qui va la libérer de ses « habitus » moteurs. Dans mon expérience, j’ai noté une capacité plus grande à mouvoir mon pinceau d’une façon plus stable, plus ancrées dans ma globalité corporelle, malgré les émotions, et avec une richesse d’orientation et d’amplitudes plus grande.
Le résultât se voit aussi en terme de créativité, ces pratiques me relient à un source de désir d’expression qui se renouvelle naturellement lorsque je suis à son écoute. Mes toiles deviennent « un lieu » ou je peux montrer et vivre tout ce monde de nuances esthétiques.
3 Tu rentres de Chine et ce n’est pas la première fois que tu pars en résidence de création… Peux-tu nous dire quelque chose, sur la Chine, qui sorte des clichés et qui nous étonne vraiment ?
Non, rien… Aha, je ris.
C’est la première fois que je vais en résidence de création en Chine, j’ai eu d’autres expériences de Résidences artistiques dans les Alliances françaises au Brésil. Curieusement, dans ces résidences artistiques, aussi loin que j’aille j’ai besoin d’un lapse de temps pour voir ce qui s’y passe de vraiment différent. En effet avec la mondialisation des media, il y a une sorte de vrai-fausse accoutumance aux pays lointains,même si on ne les connait pas physiquement, car on en reçoit des images nombreuses.
Pour la Chine il faut du temps de toute façon, car « Elle » ne se donne pas comme cela. Je ne sais pas si c’est « hors cliché » mais lors de mes pérégrinations dans les Alliances Françaises de quatre grandes villes Chinoises que sont Shanghai, Wuhan, Tianjin et Pekin, j’ai notamment retenu deux aspects de ce pays :
Le premier se traduit par une forme de paradoxe dans les relations humaines, qui se sent dans la rue lorsque l’on circule : l’incessant bruit des klaxons des véhicules de toutes sortes (ce qui exaspérait ma compagne) indiquant sans trop d’arrogance « je suis là », « j’existe », et surement d’une façon plus pragmatique « laissez moi passer ». J’aime beaucoup ce jeu entre le « je » de l’individu qui existe réellement dans la soit disant « masse » des Chinois. Au passage, je n’ai pas trop ressenti cette « masse », malgré ma présence au moment de la fête nationale à Pékin. Il y a Beaucoup d’individus qui jouent des coudes certes, mais ça fonctionne sans trop de heurts, semble-t-il !
La deuxième chose qui m’a marquée rétrospectivement est une forme de discrétion, de retenue ou de méfiance (à cause d’un passé de pays colonisé ?), dans la façon qu’a la Chine de communiquer autour de sa peinture traditionnelle -et sans doutes de ses autres arts anciens- en Occident. J’ai découvert un nombre incroyable de peintres historiques dans une des rares librairies de Shanghai, dont on n’entend pas parler en occident à moins de s’intéresser vraiment au sujet. À présent Je sais que ces artistes vont m’ influencer ou me confirmer dans ma recherche, par leurs manières si différentes d’appréhender la représentation du monde, à la fois physique, par la mémoire, par un savoir faire pictural , et une attitude contemplative qui me sied.